5 juin 1967 - 5 juin 2025 : La guerre des Six Jours, fracture originelle d’une tragédie inachevée
- Alice
- il y a 3 jours
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Il y a 58 ans jour pour jour, une guerre de six jours scellait un tournant décisif dans l’histoire contemporaine du Proche-Orient. Le conflit éclair qui opposa Israël à ses voisins arabes, l’Égypte, la Jordanie, la Syrie, avec la participation indirecte de l’Irak, du 5 au 10 juin 1967, a durablement façonné la géopolitique de la région. Mais surtout, il a aggravé, figé et perpétué une injustice historique : l’occupation prolongée des territoires palestiniens, à l’origine de la tragédie humaine et politique que connaît encore aujourd'hui la Palestine.
Genèse d’un embrasement annoncé : aux racines d’un conflit inévitable
La guerre des Six jours éclate dans un climat de tensions croissantes, d’hostilités non résolues depuis la fondation d’Israël en 1948, et de rivalités interarabes exacerbées par le contexte de la guerre froide. Depuis l’armistice de 1949, aucune paix réelle n’a été conclue entre Israël et ses voisins arabes. Si la guerre de Suez en 1956 avait temporairement permis un redéploiement des forces avec l’installation de Casques bleus de l’ONU dans le Sinaï, l’équilibre qui en résultait était fragile, artificiel.
A partir du début des années 1960, la tension remonte : les fédayin palestiniens multiplient les incursions et les sabotages en territoire israélien provoquant des représailles parfois massives. En réponse, Israël, notamment sous la direction de son état-major, adopte une posture de fermeté militaire. En parallèle, les rivalités entre pays arabes, notamment entre la Jordanie, la Syrie et l’Égypte, empêchent toute stratégie coordonnée sur la question palestinienne mais nourrissent un surenchérissement rhétorique contre Israël.
L’un des points d’ignition majeurs est la bataille aérienne du 7 avril 1967 entre Israël et la Syrie, à la frontière du Golan, qui se solde par la destruction de sept avions syriens. Cet épisode va alimenter les tensions entre Tel Aviv et Damas et poussera Nasser à renforcer sa stature de leader du monde arabe. Mal informé par un rapport soviétique erroné qui prétend que des troupes israéliennes s’amassent à la frontière syrienne, Nasser réagit avec force : le 16 mai 1967, il exige le retrait de la force d’interposition de l’ONU dans le Sinaï et entame des mouvements massifs de troupes égyptiennes.
Le 23 mai, l’Égypte ferme le détroit de Tiran aux navires israéliens, bloquant ainsi l’accès au port d’Eilat, une artère vitale pour l’économie israélienne, notamment pour ses approvisionnements en pétrole. Cette décision est immédiatement qualifiée par Israël de casus belli, un acte de guerre au regard du droit internationale maritime.
Dans les jours suivants, la Syrie et la Jordanie signent avec l’Égypte des accords militaires de défense mutuelle. Israël est encerclé militairement, pris en tenaille sur trois fonts. Pourtant, le Premier ministre israélien Levi Eshkol, d’abord hésitant, retarde la guerre en espérant une sortie diplomatique. Il envoie Abba Eman à Washington et Paris chercher du soutien. Mais l’ONU ne réagit pas, les États-Unis restent prudents, et la France de De Gaulle annonce que « 1967 n’est pas 1956 », signalant son désengagement militaire.
Le 1er juin 1967, le charismatique Moshe Dayan est nommé ministre de La Défense. Deux jours plus tard, les signes de guerre sont clairs : Israël n’attendra plus.
Un blitzkrieg victorieux : six jours pour redessiner la carte du Proche-Orient
L’assaut commence à l’aube du 5 juin 1967, par une opération aérienne d’une précision et d’une audace stratégiques inédites : l’opération Focus. A 7h45, 200 avions israéliens s’élancent à très basse altitude au-dessus de la Méditerranée, échappant aux radars pour frapper simultanément 11 bases aériennes égyptiennes. En quelques heures, près de 300 avions égyptiens sont détruits au sol, soit 90% de leur force aérienne, laissant l’Égypte pratiquement sans défense dans les airs.
L’aviation jordanienne et syrienne subit le même sort dans les 48 heures suivantes. Cette suprématie aérienne israélienne totale donne un avantage décisif aux forces terrestres. Pendant ce temps, 70 000 soldats et 700 blindés israéliens franchissent la frontière du Sinaï. Pris de court, privés de couverture aérienne, et mal commandés, les troupes égyptiennes sont incapables de riposter efficacement. En quelques jours, elles se désorganisent totalement. La retraite devient une déroute, et le 8 juin, les forces israéliennes atteignent le canal de Suez. L’Égypte accepte un cessez-le-feu, après avoir perdu jusqu’à 15 000 soldats.
Sur le front jordanien, malgré les avertissements israëliens de rester neutre, le roi Hussein engage ses troupes dès le premier jour. Israël réagit avec une vigueur inattendue : Jérusalem-Est est prise le 7 juin, et l’ensemble de la Cisjordanie passe sous contrôle israélien. La vieille ville, sanctuaire des trois monothéismes, est réunifiée par Israël, provoquant une onde de choc dans le monde musulman.
Sur le front syrien, Israël attend le 9 juin pour lancer son offensive contre le plateau du Golan, stratégique par sa position dominante sur la Galilée. Les troupes syriennes, mal préparées, se replient dans le désordre. Le 10 juin, Israël prend Quneitra et impose sa domination sur le Golan, malgré les menaces soviétiques d’intervention. Le soir même, le cessez le feu est décrété sous pression des superpuissances.
En six jours, l’Etat hébreu triple presque sa superficie territoriale. Il impose une démonstration de force militaire sans précédent, qui humilie profondément les régimes arabes et bouleverse l’équilibre stratégique de la région.
Mais cette victoire éclatante porte en germe une nouvelle ère d’occupation militaire, de colonisation et de conflit asymétrique, qui marquera les décennies suivantes et jusqu’à aujourd’hui.
Al-Naksa : la rechute silencieuse et l’oubli d’un nouveau déplacement de masse
Si l’histoire de la Nakba de 1948, l’expulsion de plus de 700 000 Palestiniens à la naissance de l’Etat d’Israël, a marqué la mémoire collective arabe, celle de la Naksa, littéralement « la rechute », survenue en juin 1967, demeure trop souvent reléguée à l’arrière-plan du récit historique global.
Pourtant, près de 300 000 Palestiniens furent à nouveau contraints à l’exil lors de la guerre des Six Jours. Beaucoup fuient la Cisjordanie et la bande de Gaza, désormais sous occupation militaire israélienne, pour chercher refuge en Jordanie, en Syrie ou au Liban. Il ne s’agit pas seulement d’un déplacement temporaire : nombre de ces familles ne reverront jamais leurs foyers.
Ce nouvel exode a des conséquences immédiates et durables : des villages entiers sont rasés, comme Imwas, Beit Nouba ou Yale, sur ordre de l’armée israélienne. Les camps de réfugiés tels qu’Aqabat Jabr ou Ein Sultan, qui avaient été établis après 1948, sont à nouveau vidés ou surpeuplés. La dispersion des Palestiniens empire, ancrant un peu plus la crise des réfugiés dans la durée.
A cette crise humanitaire s’ajoute une stratégie de déterritorialisation progressive : les terres abandonnées sont souvent confisquées, et les colonies israéliennes commencent à s’implanter dès 1967, en Cisjordanie. Ainsi, la Naksa n’est pas qu’un drame humain, c’est aussi le point de départ d’une nouvelle réalité géopolitique, où l’occupation israélienne devient un système structurel.
Les Palestiniens vivent dès lors sous une administration militaire, avec des droits réduits, une surveillance constante, et un accès restreint à leurs terres, leurs ressources, et leur mobilité. Cet épisode contribue à l’effondrement du tissu socio-économique palestinien, provoquant pauvreté, dépendance humanitaire, et frustrations qui alimenteront les Intifadas futures.
Résolution 242 de l’ONU : l’ambiguité diplomatique qui a figé la guerre des Six Jours
Le 22 novembre 1967, cinq mois après la guerre, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte la résolution 242, texte pivot du processus diplomatique au Proche-Orient, souvent cité, jamais pleinement appliqué. Son contenu principal tient en deux points :
Le retrait des forces armées israéliennes de territoires occupés lors du récent conflit
La reconnaissance du droit de tous les États de la région à vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues.
Le langage choisi dans cette résolution fut délibérément flou, en particulier dans sa version anglaise. L’absence de l’article défini dans la phrase « withdrawal of Israélite armed forces from territoires occupied » (« retrait…de territoires occupés », plutôt que « des territoires occupés ») laisse la porte ouverte à une interprétation sélective par Israël, qui considère ne pas être tenu à un retrait total.
Cette ambiguïté diplomatique a permis à Israël de grader le contrôle sur le Cisjordanie, Jérusalem-Est, le Golan et Gaza, tout en affirmant respecter le cadre général de la résolution. A l’inverse, les pays arabes y ont vu une tentative d’imposer une reconnaissance d’Israël sans garantie de restitution territoriale, ce qui a nourri le rejet exprimé dans la résolution de Khartoum en septembre 1967 : « pas de paix, pas de reconnaissance, pas de négociation avec Israël ».
Depuis, la résolution 242 reste le socle juridique et symbolique des nombreux processus de paix (de Camp David à Oslo), mais elle ne dispose d’aucun mécanisme contraignant, et sa non-application continue d’alimenter le ressentiment et la défiance dans la région. La communauté internationale elle-même n’a jamais su ou voulu imposer sa mise en œuvre.
Plus de 50 ans plus tard, la résolution 242 est un texte suspendu entre le droit et le non-dit, souvent invoqué pour légitimer des revendications, mais vidé de sa capacité à produire une paix juste et durable.
Les cicatrices de 1967 : occupation, colonisation et impunité
Le 10 juin 1967, à la fin de la guerre des Six Jours, Israël contrôle militairement des territoires trois fois plus vastes que ceux qu’il occupait avant le conflit : le Sinaï, Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem-Est, et le plateau du Golan. Si certains de ces territoires ont été rendus depuis, d’autres restent occupés ou annexés unilatéralement, comme Jérusalem-Est et le plateau du Golan, en violation du droit international, et sans reconnaissance par l’ONU.
Cette guerre éclaire brutalement une nouvelle ère : celle d’une occupation prolongée transformée en colonisation de peuplement, accompagnée d’un système de contrôle militaire et administratif permanent. Dès 1967, des colonies israéliennes commencent à s’implanter dans la Cisjordanie, territoire alors sous tutelle jordanienne, désormais administré militairement par Israël. Aujourd’hui, plus de 400 000 colons israéliens vivent en Cisjordanie, protégés par l’armée, souvent installés sur des terres confisquées aux Palestiniens.
Ces colonies, désormais de véritables villes dotées d’infrastructures exclusives, rendent toute continuité territoriale d’un futur État palestinien quasi impossible. L’autoroute, l'électricité, l’eau, les check-points, le mur de séparation : tout est conçu pour isoler, segmenter, contrôler. La Cisjordanie est aujourd’hui un archipel de zones fragmentées, où la population palestinienne vit sous occupation directe, avec des restrictions massives à la liberté de mouvement, d’expression, d’accès aux soins, à l’éducation, à la terre.
Quant à la bande de Gaza, évacuée de ses colonies en 2005, elle reste hermétiquement bouclée par un blocus israélo-égyptien depuis 2007. Elle subit des bombardements répétés, une pauvreté extrême, et un effondrement progressif de son système sanitaire, éducatif et économique. L’occupation militaire, bien que formellement absente, y a été remplacée par un siège permanent et des incursions récurrentes, rendant la vie humaine quasiment invivable.
A l’issu de cette guerre-éclair de 1967, les structures juridiques et diplomatiques internationales se sont révélées incapables d’imposer le droit. L’impunité est ainsi devenue la norme, transformant une guerre temporaire en un conflit enraciné, alimenté par un déséquilibre radical de pouvoir, consolidé par des décennies de soutien militaire et diplomatique inconditionnel à Israël.
Mémoire en ruines : la Naksa oubliée et les récits palestiniens étouffés
La mémoire de la guerre des Six Jours est aujourd’hui largement instrumentalisée. Pour Israël, elle est commémorée comme une victoire miraculeuse, une guerre de survie et de rédemption géopolitique. Pour le monde arabe, elle reste une humiliation militaire majeure. Mais pour les Palestiniens, 1967 est une deuxième Nakba : la Naksa, la rechute.
Cet épisode reste en grande partie occulté dans les discours dominants. Il n’existe aucun véritable processus international de reconnaissance ou de réparation du déplacement de 300 000 Palestiniens en 1967. Le démantèlement de villages entiers, les destructions de maisons, l’effacement physique et administratif des lieux de vie palestiniens, tout cela participe à une politique de négation mémorielle, qui se poursuit aujourd’hui par l’effacement de l’histoire palestinienne dans les manuels scolaires, les récits diplomatiques, les médias dominants.
Mais cette bataille pour la mémoire ne se joue pas seulement dans les livres ou les musées : elle s’incarne dans la criminalisation de la solidarité. En mai 2025, la dissolution en France du collectif Urgence Palestine, accusé d’ « apologie de la haine » pour avoir dénoncé l’agression israélienne à Gaza, a été qualifiée par Amnesty International d’attaque contre la liberté d’expression et d’association. Selon l’organisation, il s’agit d’une dérive inquiétante : réduire au silence les défenseurs des droits humains au lieu d’écouter leurs alertes.
A Gaza, depuis octobre 2023, une guerre d’une intensité sans précédent a été déclenchée à la suite des attaques meurtrières du Hamas. Les rapports d’ONG sont sans équivoque : un crime de génocide est en cours, commis par les forces israéliennes contre la population civile palestinienne de Gaza.
Les chiffres sont accablants : des dizaines de milliers de morts, dont une majorité de femmes et d’enfants, une destruction méthodique des infrastructures vitales et un blocus total de l’aide humanitaire. Des témoins rapportent des ordres de déplacer des centaines de milliers de personnes vers des zones ciblées ensuite par des frappes aériennes, des tirs délibérés sur des convois de civils, et une volonté manifeste d’infliger la population des souffrances physiques et psychologiques graves.
Le droit international, censé protéger les populations civiles, est contourné, voire méprisé. La Cour pénale internationale est interpellée, mais aucune mesure décisive n’est encore prise. Les puissances occidentales, pourtant promptes à invoquer les droits humains ailleurs, hésitent, tergiversent, ou soutiennent ouvertement Israël.
Cette impunité n’est pas nouvelle : elle s’enracine dans l’absence de réponse sérieuse après 1967. Le refus d’imposer le respect de la résolution 242, le silence face à l’expansion des colonies, l'abandon de la cause palestinienne dans les traités de normalisation régionale : tout cela a crée les conditions politiques, juridiques et symboliques de la catastrophe actuelle.
Gaza en 2025 est le miroir de notre faillite collective. Ce qui s’y joue dépasse le sort d’un territoire : c’est une épreuve de vérité pour l’inhumanité. La guerre des Six Jours a produit l’occupation ; l’occupation a permis l’annexion ; l’annexion a pavé la voie à la colonisation ; et la colonisation, niée, excusée, légitimée, a mené à la guerre totale, déshumanisante et exterminatrice.
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Lexique
Nakba : Désigne l’exode massif d’environ 750 000 Palestiniens en 1948, lors de la création de l’Etat d’Israel et de la première guerre israélo-arabe.
Blocus de Gaza : Mesures de fermeture des frontières terrestres, maritimes et aériennes imposées par Israël (et partiellement par l’Égypte) depuis 2007, après la prise de pouvoir du Hamas à Gaza. Ce blocus a entraîné une crise humanitaire prolongée.
Check-points : Postes militaires israéliens de contrôle établis à l’intérieur et aux abords des territoires palestiniens occupés. Ils limitent la liberté de circulation des Palestiniens, affectent l’économie, l’accès à la santé, à l’éducation et à l’emploi.
Génocide : Crime défini par la Convention de 1948 comme des actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux.
Intifada : Signifie « soulèvement » en arabe. Réfère à deux périodes majeures de révoltes palestiniennes contre l’occupation israélienne : la première en 1987, la seconde en 2000, marquées par des mobilisations massives, parfois violentes, de la population palestinienne.
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