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Myanmar : une crise ignorée à l’ombre de conflits mondiaux

Le 1er février 2025 marque le quatrième anniversaire du coup d’Etat militaire au Myanmar, un événement important pour le pays qui continue d’endurer les affres de la guerre civile. Malgré l’ampleur des violences et des crises humanitaires, la situation reste largement ignorée par la communauté internationale, absorbée par d’autres crises géopolitiques globales.


Contexte historique et retour sur le coup d’Etat de 2021


Le Myanmar, anciennement connu sous le nom de Birmanie, a une histoire marquée par des luttes de pouvoir complexes entre forces démocratiques, groupes ethniques armés et une junte militaire omniprésente. Après son indépendance de la domination britannique en 1948, le pays a rapidement sombré dans une instabilité politique, en grande partie due à la diversité ethnique et religieuse de ses populations et aux revendications d’autonomie des minorités. Ces tensions ont souvent été accélérées et alimentées par une gouvernance autoritaire, la corruption et une politique de centralisation stricte.


En 1962, un coup d’Etat militaire a marqué le début de plusieurs décennies de dictature sous le régime des généraux. La junte a maintenu un contrôle strict, étouffant toute opposition politique et réduisant considérablement les libertés publiques.

La figure emblématique de la résistance démocratique, Aung San Suu Kyi, fille du héros de l’indépendance Aung San, a émergé dans les années 1980. À la tête de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), elle a incarné l’espoir d’un avenir démocratique pour des millions de Birmans et Birmanes. Cependant, son ascension politique s’est accompagnée d’une longue période d’assignation à résidence imposée par la junte, qui voyait en elle une menace directe à son pouvoir.


Un tournant s’est produit en 2010 lorsque la junte a amorcé une ouverture politique limitée. Les élections de 2015 ont marqué une victoire écrasante de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) et une montée en puissance d’Aung San Suu Kyi, qui a assumé un rôle de dirigeante de facto du pays. Cependant, cette transition démocratique était loin d’être complète. La Constitution de 2008, rédigée sous le contrôle militaire, réservait 25% des sièges parlementaires à l’armée et lui conférait un contrôle sur des ministères clés comme La Défense, l’Intérieur et les Frontières. Ainsi, le pouvoir civil restait sévèrement limité. La victoire écrasante de la LND aux élections de novembre 2020 a renforcé les craintes de la junte de voir son influence s’éroder davantage.


Le 1er février 2021, à peine quelques heures avant la première session parlementaire issue des élections, l’armée a organisé un coup d’Etat. Elle a arrêté Aung San Suu Kyi, ainsi que d’autres dirigeants politiques, et annulé les résultats des élections, qu’elle a qualifiées, sans preuves, de frauduleuses.

Ce coup d’Etat a déclenché une vague de manifestations sans précédent à travers le pays. Des millions de Birmans, issus de toutes les couches sociales et ethniques, ont pris part au Mouvement de désobéissance civile (MDC), une campagne massive et pacifique de protections et de grèves. Face à cette mobilisation, la junte a répondu par une répression brutale : arrestations massives, violences ciblées, tortures et exécutions sommaires. Les groupes pro-démocratie, incapables de s’exprimer dans le cadre légal, se sont tournés vers la lutte armée, formant les Forces de défense populaire (PDF) pour résister à l’armée.

Ainsi, le coup d’Etat de 2021 à non seulement mis fin à une fragile transition démocratique, mais également plongé le pays dans une guerre civile de plus en plus sanglante. L’évènement marque une continuité tragique de l’histoire du Myanmar, où l’armée refuse de céder le pouvoir, même au prix de la destruction de la nation et de souffrances immenses pour son peuple.


Situation actuelle : entre résistance acharnée et répression brutale


En 2025, le Myanmar demeure embourbé dans une guerre civile dévastatrice, marquée par un conflit acharné entre la junte militaire et les forces pro-démocratie. La junte ne contrôle désormais directement qu’environ un tiers du territoire national. Les régions frontalières stratégiques, en particulier les États Shan et Rakhine, sont devenues des bastions de résistance où les combats entre l’armée et les forces opposées à la junte font rage. Ces territoires abritent des groupes ethniques armés aguerris, tels que l’Armée d’Arakan ou l’Armée nationale Ta’ang, qui se battent pour une autonomie accrue depuis des décennies.


Parallèlement, le gouvernement d’unité nationale (NUG), un gouvernement en exil composé d’anciens membres de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) et de militants pro-démocratie, a pris la tête de la lutte pour libérer le pays de l’emprise militaire. Soutenu par une coalition hétérogène composée des Forces de défense populaire (PDF) et des groupes ethniques armés (GEA), le NUG contrôle actuellement près de 45% du territoire, selon ses propres estimations. Les PDF, formées de citoyens ordinaires ayant pris les armes, illustrent la détermination de la population à résister, malgré des ressources limitées.


Les zones urbaines restent sous la domination de la junte, mais au prix d’une répression intense et de tactiques de terreur. La population civile subit les conséquences les plus lourdes. Plus de trois millions de personnes ont été déplacées à l'intérieur du pays, fuyant les zones de conflit où la violence est omniprésente. Les frappes aériennes, les bombardements et les opérations militaires ciblées sur les zones civiles ont forcé des villages entiers à se vider. Les camps de déplacés internes, surpeuplés et mal équipés, manquent cruellement de nourriture, d'eau potable et de services de base, exposant des milliers de familles à des maladies et à la malnutrition.

Les populations ethniques, notamment les Rohingyas dans l'Etat de Rakhine, continuent de souffrir de persécutions systémiques. Ces minorités font face à des violations graves, y compris des meurtres de masse, de viols et des détentions arbitraires. L'armée utilise également des tactiques de punition collective, visant à priver les communautés locales du soutien qu'elles apportent aux groupes de résistance.


Le conflit a exacerbé la pauvreté dans un pays déjà fragilisé économiquement. La moitié de la population vit désormais en dessous du seuil de pauvreté, un chiffre en forte augmentation depuis 2021. Les infrastructures agricoles et industrielles ont été lourdement endommagées, réduisant considérablement la production alimentaire et l’accès à des biens essentiels.

La famine menace des millions de personnes. L’accès à l’aide humanitaire est entravé par la junte, qui impose des restrictions sévères sur les organisations humanitaires internationales et les ONG locales. Les populations rurales et les déplacés internes, qui dépendent de cette aide, sont particulièrement vulnérables, aggravant encore les taux de malnutrition et de mortalité infantile.


La destruction des infrastructures civiles, notamment des écoles, des hôpitaux et des routes, a plongé le pays dans une crise chronique. Le système de santé est au bord de l’effondrement, incapable de répondre aux besoins d’une population confrontée à des blessures de guerre, des maladies infectieuses et un manque généralisé d’accès aux soins.

L’éducation des enfants a également été gravement perturbée. Des milliers d’écoles ont été fermées ou détruites, et de nombreux enfants ne bénéficient plus d’une instruction régulière. Cela crée une génération perdue, privée des outils nécessaires pour reconstruire le pays à l’avenir.


Les répercussions du conflit sur la santé mentale de la population sont profondes. La peur constante des bombardements, les traumatismes liés à la perte de proches et les conditions de vie précaires dans les camps de déplacés ont laissé des séquelles psychologiques importantes. Les enfants, en particulier, sont gravement affectés, grandissant dans un climat de violence et d’incertitude.

Les tensions entre groupes ethniques et le sentiment d’abandon ressenti par les communautés marginalisées alimentent des divisions profondes, rendant plus difficile toute perspective de réconciliation nationale.

L’économie birmane est en chute libre. Les sanctions internationales, bien qu’efficaces pour limiter l’accès de la junte à des ressources clés, ont également contribué à l’isolement économique du pays. Le commerce extérieur est en grande partie paralysé, et l’instabilité décourage les investissements étrangers.

Les petites entreprises locales, autrefois moteur de l’économie, ont été décimées par l’instabilité et les restrictions de la junte. Le chômage est endémique, et la perte de revenus touche durement les foyers, renforçant encore les inégalités.

En raison de l’effondrement des services financiers et des sanctions ciblant les institutions liées à l’armée, les citoyens ordinaires rencontrent des difficultés croissantes pour accéder à leurs économies ou effectuer des transactions. Cela pousse de nombreuses familles à recourir au marché noir ou à des moyens de survie précaires.


Myanmar : une tragédie oubliée et ignorée par la communauté internationale


La crise au Myanmar met en lumière une hiérarchie des priorités au sein de la communauté internationale, où des conflits moins médiatisés mais tout aussi dramatiques restent dans l’ombre d’autres crises géopolitiques. En dépit des violations flagrantes des droits humains et de l’aggravation de la guerre civile, la réponse internationale à la situation birmane a été largement limitée et fragmentée.


Les grandes puissances, bien qu’ayant exprimé leur condamnation du coup d’État de 2021 et des exactions qui s’en sont suivies, ont hésité à s’engager de manière significative pour résoudre la crise. Les États-Unis, l’Union européenne et quelques pays asiatiques ont imposé des sanctions ciblées contre les dirigeants militaires et les entreprises contrôlées par l’armée, limitant ainsi leur accès à des ressources financières cruciales. Cependant, ces mesures, bien qu’importantes, ont eu un impact limité en raison de l’absence d’une coordination globale et de la capacité de la junte à contourner certaines restrictions grâce à ses alliés régionaux.

Les Nations Unies, en raison des divisions au sein du Conseil de sécurité, n’ont pas réussi à adopter une réponse forte et concertée. La Chine et la Russie, membres permanents du Conseil, se sont opposées à toute résolution contraignante ou intervention significative, mettant en avant le principe de non-ingérence. Cette impasse diplomatique a freiné les initiatives visant à établir un embargo mondial sur les armes ou à référer la situation du Myanmar à la Cour pénale internationale.


La Chine, acteur clé dans la région, joue un double rôle. En tant que principal partenaire économique du Myanmar, elle a un intérêt stratégique à maintenir une stabilité minimale pour protéger ses investissements, notamment dans le cadre de son projet des Nouvelles Routes de la Soie. Pékin a proposé à plusieurs reprises ses bons offices pour faciliter des négociations entre la junte et les groupes rebelles, mais ces efforts sont souvent perçus comme motivés par des intérêts économiques plutôt qu’humanitaires.

Par ailleurs, la Chine reste un fournisseur indirect de ressources à la junte, notamment via des livraisons d’équipements qui soutiennent son effort militaire. D’autres pays de l’ASEAN, comme la Thaïlande, maintiennent également des relations pragmatiques avec le régime, souvent en raison de liens économiques et de préoccupations sécuritaires liées aux flux migratoires massifs provoqués par le conflit.


Malgré cette indifférence généralisée, certains efforts internationaux méritent d’être soulignés. Human Rights Watch et d’autres organisations de défense des droits humains ont appelé à des actions concrètes, notamment un embargo mondial sur les armes et des sanctions renforcées. En novembre 2024, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a demandé un mandat d’arrêt contre le général Min Aung Hlaing, chef de la junte militaire, pour crimes contre l’humanité. Bien que symbolique, cette démarche envoie un message clair à la junte : l’impunité ne sera pas éternelle.

Par ailleurs, des initiatives transfrontalières menées par des ONG locales et des organisations internationales permettent de fournir une aide humanitaire aux populations les plus vulnérables, même si ces efforts restent insuffisants face à l’ampleur des besoins. La réaction internationale à la crise birmane reflète une tragique combinaison d’indifférence et de priorités déplacées. Alors que le Myanmar continue de sombrer dans la violence et la pauvreté, l’inaction des grandes puissances et l’absence de pression diplomatique renforcent le sentiment d’abandon ressenti par la population. Une mobilisation internationale plus forte est essentielle pour offrir une chance de paix durable et pour mettre fin aux souffrances d’un peuple qui lutte, souvent seul, pour sa survie et sa liberté.


 

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Lexique


ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) : Organisation régionale regroupant dix pays d’Asie du Sud-Est.


Aung San Suu Kyi : Figure emblématique de la démocratie au Myanmar, ancienne dirigeante de facto du pays, arrêtée lors du coup d’État de 2021 et emprisonnée par la junte.


Forces de défense populaire (PDF - People’s Defense Forces) : Groupes armés citoyens créés pour résister à la junte militaire après le coup d’État de 2021.


Général Min Aung Hlaing : Chef de la junte militaire birmane, responsable du coup d’État et des répressions sanglantes contre les opposants.


Junte militaire : Régime militaire dirigé par un groupe d’officiers de l’armée, s’arrogeant le pouvoir et gouvernant de manière autoritaire.


Ligue nationale pour la démocratie (LND) : Parti politique dirigé par Aung San Suu Kyi, vainqueur des élections de 2015 et 2020 avant d’être renversé par le coup d’État de 2021.


Nouvelles Routes de la Soie : Initiative économique chinoise à laquelle le Myanmar est intégré via des projets d’infrastructures financés par Pékin.


NUG (National Unity Government - Gouvernement d’unité nationale) : Gouvernement en exil formé par les opposants à la junte, incluant des anciens membres de la LND.


Rohingyas : Minorité musulmane persécutée au Myanmar, victime de massacres et de déplacements forcés.

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