Depuis avril 2023, le Soudan est plongé dans une guerre dévastatrice qui a provoqué l’une des crises humanitaires les plus graves du monde. Les affrontements entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide ont entraîné un déplacement massif de population, des pertes humaines considérables et une déstabilisation régionale. Ce conflit a exacerbé les souffrances des civils et mis en lumière les faiblesses de la réponse internationale face à cette tragédie.
Contexte géopolitique et historique de la guerre du Soudan
Le Soudan, le troisième plus grand pays d’Afrique par sa superficie, est située à la croisée de l’Afrique du Nord et de l’Afrique subsaharienne. Il possède une riche diversité ethnique et culturelle, mais aussi un passé marqué par des tensions et des conflits. L’histoire moderne du Soudan est intimement liée à sa lutte pour l’indépendance, ses clivages religieux et ethniques et des décennies de régimes militaires autoritaires.
Le Soudan a obtenu son indépendance du Royaume-Uni et de l’Égypte en 1956, mais l’unité nationale s’est révélée difficile à maintenir. Dès les premières années, le pays a été déchu par des guerres civiles entre le nord, principalement arabe et musulman, et le sud, majoritairement africain et animiste ou chrétien. Ces conflits ont pris racine dans des tensions historiques liées à la marginalisation politique et économique des populations du sud.
La première guerre civile soudanaise a duré jusqu’en 1972, lorsqu’une paix temporaire a été établie par l’Accord d’Addis-Abeba. Cependant, des désaccords persistants concernant l’autonomie du sud et le contrôle des ressources naturelles ont déclenché la reprise des combats en 1983. Cette seconde guerre civile, beaucoup plus destructrice, a fait des millions de morts et déplacé des millions d’autres. Elle s’est achevée avec la signature de l’Accord de paix global en 2005, qui a ouvert la voie à un référendum sur l’indépendance du Sud-Soudan.
En 2011, le Sud-Soudan est devenu un état indépendant après un référendum qui a vu une majorité écrasante voter pour la séparation. Cependant, la perte du Sud-Soudan a eu un impact dévastateur sur l’économie du Soudan, puisque cette région abritait environ 75% de la production pétrolière du pays. La scission a exacerbé les problèmes économiques et les tensions politiques dans le Soudan restant, précipitant une période d’instabilité et de mécontentement populaire.
Omar el-Béchir, qui a dirigé le pays d’une main de fer pendant 30 ans après avoir pris le pouvoir lors d’un coup d’état en 1989, a été renversé en 2019 par un soulèvement populaire massif. Le régime d’el-Béchir a été marqué par la guerre au Darfour, qui a débuté en 2003 et s’est traduite par des accusations de génocide, ainsi que par la répression sévère de toute opposition. Son éviction a ouvert la voie à un processus de transition, mais ce dernier a été fragile et marqué par des désaccords profonds entre civils et militaires.
Dans le contexte de la transition post-Béchir, les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (FSR) ont émergé comme les deux puissances militaires dominantes. Les SAF sont la branche traditionnelle de l’armée soudanaise, dirigé par le général Abdel Fattah al-Burhan. Les FSR, quant à elle, ont des racines dans les milices janjawids, tristement célèbres pour leur rôle dans la guerre du Darfour. Sous la direction du général Mohamed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », les FSR ont acquis une influence croissante, bénéficiant de financements importants et d’une réputation redoutable sur le terrain.
Les tensions entre ces deux factions militaires ont continué de croître après la chute d’el-Béchir. Le partage du pouvoir entre les civils et les militaires, initialement convenu dans le cadre du Conseil souverain chargé de mener la transition, a été marqué par des luttes internes pour le contrôle du pays. La rivalité entre Al-Burhan et. Daglo s’est exacerbée sur des questions fondamentales, telles que l’intégration des FSR dans l’armée nationale, les réformes politiques et la répartition des pouvoirs économiques.
En avril 2023, cette rivalité a culminé avec le déclenchement des hostilités entre les SAF et les FSR, plongeant le Soudan dans un conflit violent qui a éclaté principalement à Khartoum et au Darfour, et qui s’est rapidement étendu à d’autres régions. Ce conflit a relancé les peurs de la fragmentation du pays, avec des acteurs régionaux et internationaux regardant la situation avec une inquiétude croissante face aux implications potentielles pour la stabilité de l’Afrique de l’Est et du Sahel.
Crise humanitaire
Le 15 avril 2023, les combats ont éclaté soudainement à Khartoum, la capitale, et dans d’autres grandes villes du pays, notamment au Darfour, une région déjà marquée par des décennies de conflits et de violence. La violence a touché des zones civiles, conduisant à la destruction d’infrastructures vitales telles que les hôpitaux et les écoles. La situation est devenue critique, avec des rapports faisant état d’attaques aveugles contre les civils et de violations des droits humains. Des pillages et des violences sexuelles ont été rapportés, en particulier au Darfour, où les tensions ethniques se sont intensifiées, ravivant les souvenirs des conflits passés.
La guerre au Soudan a rapidement engendré une crise humanitaire dévastatrice et sans précédent. En 2024, cette crise s’est amplifiée, plaçant le Soudan parmi les pires zones de souffrance humanitaire au monde. Cette situation a entraîné des déplacements massifs de populations, une insécurité alimentaire extrême, l’effondrement des infrastructures de santé, et a touché de manière disproportionnée les enfants et les femmes. Les combats incessants entre les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (FSR) ont forcé des millions de personnes à fuir leurs foyers. En 2024, plus de 7 millions de personnes étaient déplacées à l’intérieur du Soudan, tandis qu’au moins 1,3 million avaient traversé les frontières vers des pays voisins tels que le Tchad, l’Égypte, le Soudan du Sud, l’Éthiopie et la République centrafricaine. Ces déplacements ont provoqué une surcharge des camps de réfugiés et des points de transit, où les conditions étaient souvent précaires, avec un manque d’eau potable, de nourriture et de soins médicaux.
Les familles, souvent composées principalement de femmes et d’enfants, se retrouvaient confrontées à des conditions insoutenables. Les récits de violence lors des déplacements, y compris des attaques contre les convois de réfugiés et des violations des droits humains, ont été courants. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a exprimé sa profonde inquiétude concernant la sécurité des personnes déplacées et l’impact des violences sur leur intégrité physique et psychologique.
L’une des conséquences les plus dramatiques de la guerre a été la crise alimentaire. Le Soudan, autrefois considéré comme le grenier à blé de l’Afrique de l’Est, a vu sa production agricole s’effondrer en raison des combats, du manque de sécurité et de l’impossibilité de cultiver les terres. En 2024, environ 25 millions de personnes, soit près de la moitié de la population soudanaise, avaient besoin d’une assistance alimentaire urgente. Des agences humanitaires comme le Programme alimentaire mondial (PAM) ont alerté sur le risque de famine généralisée, en particulier dans des régions comme le Darfour, où des rapports faisaient état de personnes mourant de faim. Les restrictions imposées par les belligérants sur l’accès humanitaire ont exacerbé la situation. La nourriture et l’aide étaient souvent détournées ou utilisées comme armes de guerre pour affamer des communautés entières. Cette utilisation délibérée de la privation alimentaire comme moyen de contrôle a été dénoncée par des organismes internationaux, qui ont décrit la situation comme une violation des droits humains et un crime de guerre.
Le système de santé du Soudan a été l’une des premières victimes de la guerre. En 2024, plus de 70 % des établissements de santé dans les zones touchées par le conflit ne fonctionnaient plus, soit en raison de destructions directes, soit faute de personnel et de fournitures. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a recensé des dizaines d’attaques ciblées contre des hôpitaux et des cliniques. Les conséquences ont été désastreuses : des maladies telles que le choléra, la rougeole et la malnutrition sévère ont connu une recrudescence, et l’accès aux soins médicaux de base est devenu quasiment inexistant pour des millions de personnes.
L’épidémie de choléra, en particulier, a touché des milliers de personnes, profitant des conditions sanitaires dégradées et du manque d’eau potable.
La crise humanitaire a touché de manière disproportionnée les enfants, qui ont payé un lourd tribut à la guerre. Selon l’UNICEF, plus de 14 millions d’enfants avaient besoin d’une aide humanitaire en 2024, et près de la moitié d’entre eux étaient exposés à la malnutrition aiguë. Les enfants soudanais ont également été victimes de violence, d’enlèvements et de recrutement forcé par les groupes armés, exacerbant encore leur vulnérabilité.
L’éducation a été un autre domaine gravement touché : toutes les écoles du pays ont été fermées pendant de longues périodes, et beaucoup d’entre elles ont été utilisées comme abris temporaires pour les personnes déplacées. Cette interruption prolongée de l’éducation a menacé l’avenir de toute une génération, créant une « génération perdue » incapable de se préparer à un avenir meilleur.
Les femmes soudanaises ont été confrontées à une recrudescence de la violence basée sur le genre pendant le conflit. Des rapports ont documenté des cas de viols et d’autres formes de violences sexuelles utilisées comme tactiques de guerre pour semer la terreur et soumettre les communautés. Des organisations internationales ont alerté sur le besoin urgent de protection et de soutien aux victimes, mais les ressources disponibles pour aider ces femmes étaient largement insuffisantes. Les structures de soutien psychologique et médical étaient presque inexistantes, laissant des milliers de survivantes sans aide.
Réactions et silence international
Dès le début du conflit en avril 2023, des organisations internationales telles que l’ONU et l’Union Africaine ont appelé à un cessez-le-feu et ont exhorté les belligérants à protéger les civils et à garantir l’accès humanitaire. Des résolutions ont été adoptées au Conseil de sécurité des Nations Unis, mais leur impact sur le terrain a été limité en raison du manque de mécanismes coercitifs pour imposer la paix. Des pays et organisations ont également plaidé pour une médiation et des pourparlers de paix, notamment lors des négociations menées par Djeddah et de la Conférence de Paris sur le Soudan. Cependant, ces initiatives ont souvent échoué à produire des résultats concrets, les parties en conflit continuant à refuser de faire des concessions ou à respecter les accords de trêve.
L'un des principaux problèmes rencontrés par la communauté internationale a été le financement des opérations de secours humanitaire. Les Nations Unies ont estimé que le Plan de réponse humanitaire nécessitait 2,6 millards de dollars pour couvrir les besoins des populations soudanaises. En 2024, seuls 26% de ce montant avaient été reçus, soulignant donc le manque de soutien financier des Etats donateurs et des institutions internationales.
Le financement limité a gravement entravé la capacité des agences humanitaires à fournir des services essentiels, tels que la distribution de nourriture, de médicaments et l'accès aux soins de santé. Cette pénurie de ressources a eu des conséquences dramatiques sur le terrain, exacerbant la famine, les épidémies et la souffrance des civils.
La crise au Soudan a souvent été éclipsée par d'autres événements internationaux jugés prioritaires. Cela a inévitablement conduit à un manque de couverture médiatique et d'attention politique envers le Soudan, contribuant à une perception de crise oubliée. Certains responsables de l'ONU ont exprimé leur frustration face à cette indifférence, mettant en garde contre le risque que le Soudan devienne "une crise négligée" et insistant sur la nécessité d'une intervention urgente.
Les pays voisins tels que le Tchad, le Soudan du Sud et l'Egypte, ont accueilli des millions de réfugiés soudanais malgré leurs propres défis économiques et politiques. Cependant, les efforts régionaux pour stabiliser la situation ont été freinés par des préoccupations sécuritaires internes et un manque de capacité à influencer les parties au conflit. L'Union africaine a tenté de jouer un rôle de médiateur, mais son influence a été limitée par des divisions internes et le peu de levier diplomatique sur les belligérants.
La Cour pénale internationale a intensifié ses enquêtes concernant les crimes commis au Darfour et dans d'autres régions du Soudan. Des accusateurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité ont été portées contre des membres des FSR et de l'armée régulière, notamment pour des actes de violence sexuelle et des massacres de civils. Bien que ces initiatives soient primordiales pour la justice à long terme, elles ont eu un impact limité sur la dynamique immédiate du conflit.
De nombreux experts et organisations humanitaires ont critiqué l'inaction de la communauté internationale, affirmant que des mesures plus décisives auraient pu être prises. Parmi les recommandations figurent la mise en place d'embargos sur les armes pour empêcher l'approvisionnement des parties en guerre et le déploiement de forces de maintien de la paix pour protéger les civils. Cependant, ces actions nécessitent un consensus international qui a été difficile à atteindre, en raison des intérêts géopolitiques divergents. Le secrétaire général de l'ONU et d'autres hauts responsables ont continué à tirer la sonnette d'alarme, rappelant aux Etats membres leur responsabilité de protéger les populations et de prévenir les atrocités en masse. Malgré ces appels, le soutien logistique et financier concret est resté insuffisant, laissant des millions de Soudanais dans une situation critique.
La guerre au Soudan est devenue un symbole de l'indifférence face à des tragédies prolongées. Les efforts internationaux doivent être intensifiés pour apporter une aide effective aux millions de personnes touchées par le conflit et pour oeuvrer en faveur d'une paix durable. Sans intervention rapide et massive, la souffrance continuera d'augmenter, faisant du Soudan une terre de désolation et un fardeau pour toute la région.
Lexique
Accord d’Addis-Abeba : Traité ayant mis fin à la première guerre civile soudanaise (1955-1972), il accordait une autonomie régionale au sud du Soudan.
Accord de paix global (2005) : Accord signé entre le gouvernement soudanais et le Mouvement populaire de la libération du Soudan mettant fin à la deuxième guerre civile soudanaise.
Forces armées soudanaises (SAF) : Armée nationale du Soudan dirigée par le général Abdel Fattah Al-Burhan
Forces de soutien rapide (FSR) : Milice paramilitaire dirigée par le général Mohamed Hamdan Daglo, issue des janjawids (milices) impliqués dans les atrocités au Darfour.
Cour pénale internationale : Tribunal chargé de poursuivre les individus responsables de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide.
Conseil de sécurité des Nations Unis : Organe principal de l'ONU chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Composé de 15 membres (5 permanents avec droit de veto et 10 non permanents élus), il adopte des résolutions pour prévenir ou résoudre les conflits, autoriser des missions de paix et imposer des sanctions.
Union Africaine : Organisation continentale regroupant 55 États africains, visant à promouvoir l’unité, la coopération, le développement économique et la paix en Afrique.
Programme alimentaire mondial (PAM) : Agence des Nations Unies spécialisée dans l'aide alimentaire aux populations en crise.
Plan de réponse humanitaire : Document détaillant les besoins humanitaires d'un pays et les actions prévues pour y répondre, avec des estimations financières.
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