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Les femmes afghanes peuvent désormais prétendre au statut de réfugié

  • Alice
  • 7 oct. 2024
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 12 déc. 2024

Depuis le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan en août 2021, les droits des femmes et des filles ont subi une régression sans précédent, les privant de libertés fondamentales et les soumettant à un régime oppressif de contrôle et de répression.

La communauté internationale, notamment l'Union européenne, a enfin réagi en prenant des mesures pour protéger celles qui fuient cette persécution systématique. En effet, le 4 octobre 2024, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu une décision importante, élargissant l'accès au statut de réfugié pour toutes les femmes afghanes, en considérant que leur simple nationalité et leur sexe suffisent à justifier une demande d'asile.


Qu'est-ce que le statut de réfugié ?


Le statut de réfugié, tel que défini par la Convention de Genève de 1951, est un dispositif de protection accordé aux personnes qui, craignant d'être persécutées en raison de leur origine ethnique, religion, nationalité, appartenance à un groupe social particulier ou opinions politiques, ne peuvent et ne veulent pas retourner dans leur pays d'origine.


En Europe, l'article 1 de la Convention de Genève et la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 sont les textes de référence pour l'octroi de la protection internationale. Cette directive introduit des critères plus larges, reconnaissant que des personnes peuvent être persécutées en raison de leur appartenance à un certain "groupe social", qui inclut les considérations liées au genre. Ainsi les persécutions fondées sur le genre, telles que les violences domestiques, les mutilations génitales féminines ou les mariages forcés, peuvent également justifier une demande d'asile.


La décision de la Cour de justice de l'Union européenne de 2024 est particulièrement notable car elle repose sur une interprétation large du groupe social protégé par la directive 2011/95/UE, en considérant que toutes les femmes afghanes, en raison de leur situation systématique de persécution dans leur pays, font partie d'un tel groupe social. Cela signifie qu'il n'est donc plus nécessaire pour une femme afghane de démontrer une persécution individuelle ou spécifique pour obtenir l'asile. La seule considération de sa nationalité et de son sexe est désormais suffisante pour établir un risque de persécution en cas de retour en Afghanistan.


La situation des femmes et des filles en Afghanistan depuis 2021


Depuis leur retour au pouvoir, les talibans ont imposés des restrictions extrêmement sévères sur les droits des femmes et des filles en Afghanistan. Ces mesures constituent une régression massive par rapport aux progrès réalisés au cours des deux décennies précédentes. Le régime taliban a instauré ce que l'ONU et de nombreuses organisations internationales appellent un "apartheid de genre", dans lequel les femmes sont systématiquement exclues de la vie publique, de l'éducation ou encore de l'emploi.


En 2023, l'Afghanistan est devenu le seul pays au monde où les femmes n'ont pas accès à l'enseignement secondaire et supérieur. De plus, elles sont interdites de travailler dans la majorité des secteurs économiques, y compris dans les organisations gouvernementales internationales et les agences des Nations Unies. Leur liberté de mouvement est également restreinte : elles ne peuvent se déplacer qu'accompagnées d'un tuteur masculin, même pour des besoins essentiels.

Les femmes afghanes subissent également des violences systématiques, telles que le mariage forcé, considéré par la CJUE comme une forme d'esclavage, ainsi que des violences domestiques et sexuelles, sans pouvoir compter sur une protection juridique adéquate. Les femmes qui protestent contre ces restrictions sont souvent arrêtées, torturées ou soumises à des traitements dégradants. La situation des droits humains est si grave que des organisations comme Human Rights Watch qualifient ces atteintes répétées aux droits des femmes de crime contre l'humanité.


L'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 4 octobre 2024


L'arrêt de la CJUE du 4 octobre 2024 constitue une avancée majeure dans la reconnaissance juridique des droits des femmes afghanes au niveau européen. Cette décision fait suite à une affaire autrichienne où deux femmes afghanes avaient vu leur demande d'asile rejetée. La Cour a jugé que les mesures discriminatoires imposées par le régime taliban sont suffisantes pour constituer des actes de persécution, au sens de la directive 2011/95/UE.

Cette décision repose sur plusieurs points essentiels.


Premièrement, la Cour a reconnu que certaines des mesures imposées aux femmes afghanes, comme le mariage forcé et l'absence de protection contre les violences fondées sur le genre, sont, elles-mêmes, des actes de persécution. Ces pratiques violent gravement les droits fondamentaux à la dignité humaine, à la liberté et à la sécurité des femmes. Ensuite, même si certaines autres mesures discriminatoires ne constituent pas individuellement des actes de persécution, la Cour a statué que leur effet cumulé, pris dans un contexte de répression systématique et délibérée, équivaut à une persécution flagrante et généralisée.


Deuxièmement, la CJUE a établi qu'il n'est plus nécessaire, pour les autorités des États membres de l'Union européenne, d'exiger des preuves supplémentaires démontrant que les demandeuses d'asile risquent des persécutions spécifiques en cas de retour dans leur pays d'origine. Cette décision reconnaît que les femmes afghanes, en tant que groupe social, sont persécutées en raison de leur sexe dans leur pays d'origine.


L'avenir de ces femmes afghanes


L'arrêt de la CJUE aura des conséquences majeures pour les femmes afghanes cherchant à fuir la persécution en Afghanistan. Tout d'abord, il simplifie grandement les démarches d'asile pour ces femmes, en éliminant la nécessité de prouver des persécutions individuelles. Cela pourrait ouvrir la voie à une reconnaissance plus systématique des demandes d'asile des femmes d'afghanes dans tous les Etats membres de l'Union Européenne. Déjà, des pays comme la Suède, la Finlande et le Danemark accordent le statut de réfugié aux femmes afghanes sur la base de leur sexe et de leur nationalité.


De plus, cette décision envoie un signal fort à la communauté internationale sur l'urgence de la situation en Afghanistan et pourrait encourager d'autres pays hors de l'Union européenne à adopter des politiques similaires. Cela est particulièrement important dans le contexte d'une crise humanitaire aggravée, où des millions de personnes, dont la majorité de femmes et d'enfants, vivent dans des conditions précaires en raison de la pauvreté, des conflits armés et du manque d'accès aux services de base.


Une victoire partielle dans une lutte plus large


L'arrêt de la CJUE en octobre 2024 constitue une victoire importante pour la cause des femmes afghanes. En reconnaissant que la simple appartenance au sexe féminin dans l'Afghanistan taliban est suffisante pour justifier l'octroi de l'asile, cette décision marque un véritable tournant dans la protection internationale des droits des femmes. Elle témoigne de la prise en compte par la justice européenne de la gravité des atteintes aux droits humains sous le régime taliban.


Cependant, cette avancée ne peut être vue comme une solution à l'ensemble des problèmes auxquels font face les femmes afghanes. Si cet arrêt offre une protection à celles qui parviennent à fuir, il est primordial que la communauté internationale continue de soutenir les femmes restées en Afghanistan. Pour les millions de femmes et filles restées dans le pays, la répression continue et s'aggrave. L'isolement de ces femmes, combiné à l'éradication systématique de leurs droits économiques, sociaux et politiques, les plonge dans une situation de précarité extrême, exacerbée par une crise humanitaire sans précédent.


La communauté internationale doit donc aller au-delà de la simple reconnaissance de leur statut de réfugiées. Il est impératif de maintenir une pression diplomatique constante et d’envisager des actions plus robustes, tant sur le plan politique qu’économique, pour contraindre les talibans à respecter les droits humains. De plus, des mécanismes de soutien pour celles qui ne peuvent pas fuir doivent être mis en place. Cela inclut un renforcement de l’aide humanitaire, notamment dans les zones où les femmes sont privées d’accès à l’aide en raison des restrictions talibanes, ainsi qu’un soutien aux ONG qui continuent de se battre sur le terrain pour les droits des femmes.


Enfin, cette décision devrait également servir de tremplin pour une réflexion plus large sur la protection des groupes persécutés dans d’autres contextes de conflits. Le principe de la reconnaissance automatique d’un statut de réfugié pour des groupes systématiquement opprimés pourrait être étendu à d’autres situations où les persécutions sont fondées sur le sexe, l'ethnicité ou l'orientation sexuelle. En ce sens, l'arrêt de la CJUE est non seulement une victoire pour les femmes afghanes, mais aussi un jalon potentiel vers une réforme globale du droit d’asile, fondée sur une meilleure compréhension des réalités contemporaines de la persécution.


Ainsi, si cet arrêt constitue une avancée majeure, il ne doit être qu'un premier pas dans une lutte plus large pour restaurer les droits des femmes afghanes et garantir que celles qui ne peuvent fuir ne soient pas oubliées. La responsabilité des États membres de l'UE, et de la communauté internationale dans son ensemble, est de transformer cette victoire juridique en une action concrète et durable, visant à soutenir et protéger ces femmes, que ce soit en Afghanistan ou au-delà de ses frontières.


 

Pour compléter la lecture de cet article,



 

Lexique


Convention de Genève de 1951 : Traité international établissant les principes de protection des réfugiés. Elle définit qui est un réfugié et les droits et obligations des Etats en matière de protection des demandeurs d'asile.


Directive 2011/95/UE : Directive européenne qui établit les normes relatives aux conditions pour obtenir la reconnaissance du statut de réfugié ou de protection subsidiaire au sein des Etats membres de l'Union européenne.

La Cour de justice de l'Union européenne : Institution judiciaire de l'Union européenne qui veille à l'application du droit européen.


Groupe social : Terme utilisé dans le droit de l'asile pour désigner un ensemble de personnes partageant une caractéristique commune, comme le sexe ou l'orientation sexuelle, et susceptibles de subir des persécutions.


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